Une controverse a longtemps agité les juridictions européennes : les utilisateurs d’internet peuvent-ils effacer leurs traces ? Bénéficient-ils d’un véritable « droit à l’oubli », opposable aux moteurs de recherche ? Le droit à la liberté d’expression et les droits de la presse doivent-ils plier devant le droit à la vie privée et familiale ?
Dès mai 2014, la Cour de Justice de l’Union européenne a consacré l’existence du droit à l’oubli et ses limites (CJUE, Aff. C-131/12, 13 mai 2014, arrêt dit « Google Spain »).
Selon la Cour, un traitement initialement licite de données exactes peut devenir, avec le temps, incompatible avec la directive 95/46, relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, lorsque ces données ne sont plus nécessaires au regard des finalités pour lesquelles elles ont été collectées ou traitées.
Dans ce cas, la Cour admet la recevabilité de demandes de « déréférencement ». Il convient néanmoins de pondérer les droits et libertés en présence, de sorte que la demande de « déréférencement » pourra être rejetée lorsque, pour des raisons particulières, telles que le rôle joué par la personne concernée dans la vie publique, l’ingérence dans ses droits fondamentaux est justifiée par l’intérêt prépondérant du public à être informé.
En réaction à cette décision, Google a mis en ligne un formulaire de demande de suppression de résultats de recherche.
Une personne qui aurait été pénalement condamnée pour des faits de détournement pourrait ainsi demander, après l’écoulement d’un délai raisonnable, que le lien entre son identité et les articles de presse en ligne relatifs à cette problématique soit supprimé. Dans cette hypothèse, la source de l’information demeurait quant à elle intacte.
Dans un arrêt du 29 avril 2016, la Cour de Cassation belge s’inscrit dans cette même logique mais va plus loin (affaire n° C.15.0052.F/1, http://jure.juridat.just.fgov.be/pdfapp/download_blob?idpdf=F-20160429-1).
Dans cette affaire, le demandeur réclamait non pas la suppression du référencement mais la suppression de ses nom et prénoms et/ou la modification de la source de l’information en remplaçant son identité par « X ».
Le 25 septembre 2014, la Cour d’appel de Liège a fait droit à cette demande en précisant que « le maintien ou non d’un article en ligne relève d’un choix éditorial », dont l’éditeur devait assumer les conséquences.
Saisie d’un pourvoi de l’éditeur concerné, la Cour de Cassation a rejeté le recours et consacré l’idée selon laquelle le droit à l’oubli, « composante intrinsèque du droit au respect de la vie privée », implique de permettre à une personne reconnue coupable d’un crime ou d’un délit de s’opposer, dans certaines circonstances, à ce que son passé judiciaire soit rappelé au public à l’occasion d’une nouvelle divulgation des faits.
Il en va notamment ainsi en cas d’archivage numérique d’un article ancien de la presse écrite.
La Cour de Cassation admet dès lors que, dans ce cas de figure, les Cours et Tribunaux imposent une altération du texte archivé.
En l’espèce, elle considère que la Cour d’appel de Liège a légalement décidé qu’en refusant, dans le contexte propre à la cause et sans motif raisonnable, d’accéder à la demande d’anonymisation de l’article, l’éditeur mis en cause a commis une faute.
Cet arrêt semble accorder une portée supplémentaire à la notion de droit à l’oubli consacrée par la jurisprudence européenne. Au-delà d’un droit au « déréférencement », la Cour de Cassation consacre en effet la possibilité de faire supprimer certaines informations disponibles sur internet.
Nul doute que cette décision aura des effets importants et sera précisée à l’avenir, notamment en fonction des nouvelles technologies qui verront le jour.